Billet

Cocon de Rêve

 


Une nuit que des légions d’insectes se promenaient sur mon corps, cartographie douteuse, macabre valse biologique, et que, gourmands de mon épiderme acide comme d’une écorce orangée, ces arthropodes invétérés procédaient à me dévorer langoureusement, picotant comme les baisers humides d’une femme gorgone, je ne pouvais m’endormir nonobstant la lénifiante agression : une intrusion de ces invertébrés dans mon derme, une pondaison abjecte, plus âcre encore que le sperme d’un homme faisandé par le temps qui passe, infusa dans l’encre de mon sommeil.
 
Au petit matin, découvrant avec horreur d’ovoïdes bubons, je me suis rendu, drapé de blanc, à la pharmacie du quartier avec l’insigne espoir de trouver quelques décoctions génériques au mal qui me hantait par peur absconse et térébrante de donner naissance à un cortège de monstres miniatures et voraces, ou pire, me transformer moi-même en cocon, rongé par les vers avant que la mort ne m’emporte enfin, m’enserre dans ses mandibules glacées. Surgissant du fond du magasin, vint un ami qui, déguisée en Marilyn du dimanche, reluqua consciencieux mes plaies, stigmates et pustules, avant que de me conseiller quelques pilules et crèmes magiques, remèdes pharmaceutiques aux noms toujours plus invraisemblables. 
 
Or, sa patronne, une acariâtre au physique émacié, occupée à sonder une armada de tiroirs, se délectant visiblement de mes douces pathologies, n’a pas souhaité qu’il s’occupe de moi outre mesure, prétextant qu’il était inexpérimenté, tout juste bon à tenir la caisse. Sa bouche barbouillée comme un esquimau, et ce pharmacien au pantalon retroussé, dans l’arrière-boutique, témoignaient sans nul doute de ses capacités innées en médecine naturelle. Et de ses inclinations.
 
« Mais nous ne vendons pas, absolument pas, s’insurgea la patronne, de bombes insecticides dans une pharmacie, petite idiote ! Allez donc dans l’arrière-boutique prélever des échantillons. »
 

Sur ces augustes paroles, Marilyn disparue avec ses conseils à la fois pertinents et absurdes, la pharmacienne, muette et figée comme une statue, enfonça ses yeux noirs dans les miens, avant que de prendre la forme d’un blattidé colossal, la morphologie exacte de ses insectes qui sévissent la nuit et fuient la lumière avec la célérité des bolides. Son rire métallique résonne encore en moi, à faire vibrer mes plaies, jusqu’à mes entrailles bourbeuses de soie : entretiendrais-je avec mes larves, en lepte qui désormais se respecte, de bons rapports filiaux, si jamais je ne parviens pas à quitter les périmètres exsangues de ce maudit rêve dont je suis l’amoureux captif.  

 

Texte écrit le 4 mars 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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