Billet

Crash, Bandit and Co

 

La puissance de ton amour concentrée dans un seul crachat ruisselle sur la vitre de ma voiture lancée à toute allure : nous ne sommes plus, c’est un rappel que la pluie s’acharne à effacer. La vitesse sacrifie l’émotion, la distance efface le passé : ne reste qu’une larme constellée qui menace le bitume.
 
Les paysages défilent par instants : je m’invente quelques nouvelles vies, à chaque virage, de nouveaux bonheurs prétentieux et stupides, des amours légères filées comme le vent – et des métaphores : cette excursion dans mon imaginaire fictif n’est guère prudente, les routes de campagnes farouchement escarpées : mais, au fond, qui aime les pages blanches, cette oppressante dictature du vide ?
 
Un arrêt sur image et me voici encastré dans un véhicule étranger, face à des types patibulaires et cagoulés eux aussi lancés à toute allure. Ce qu’ils fuyaient : une brigade policière tout aussi féroce.
 
Je n’avais rien vu venir, ni même entendu la frénésie d’une course, l’horripilante musique des drames, concentré que j’étais dans l’imaginaire félicité d’un festin amoureux. Et pourtant, l’espace de quelques secondes, la violente sirène se rappelle à moi comme un appel à pénétrer de nouveau le réel, le monde tangible, une piqûre plus douce que ces plaies qui dégorgent, béantes, mon sang.
 

On prétend que la mort, quand elle nous prend, qu’elle nous soustrait au phénomène complexe de la vie, elle nous offre, dans son infinie mansuétude, cet unique présent : chaque instant de notre passé renaîtrait sous nos yeux, une histoire qui se répéterait en accéléré, des images d’Epinal qui défileraient sans cesse, un livre de coloriage aux couleurs imposées dont les pages semblent s’envoler sous l’égide d’un mistral feignant. Mais la mort, en réalité, comme toute femme et comme l’amour, elle nous surprend : ce n’est rien d’autre qu’un arrêt sur image de plus, un pénible soubresaut, une télévision qui s’éteint à jamais.

 

Texte : accident  du 12 mai 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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