Billet

Des Nouvelles du Pays

 

Cher Stéphane,

 

Nous nous sommes bien amusés pendant les vacances : nous avons ouvert une porte close avec une radio de testicules, nous avons envoyé des cartes pornographiques à des bonnes sœurs esseulées et nous avons chahutés, à l’aube, quelques vieux alcooliques, tu sais, ceux qui souillent les trottoirs et dont l’hygiène rime avec hyène.

 

Tu vas me dire que c’est la routine, mais il est difficile d’improviser quelques menus larçins maintenant que les flics ne se contentent plus de se promener mais de fliquer et de mater. Tu m’as bien lu : ils ne regardent plus passivement les possibles délinquants qui ne se cachent pas (il leur était facile, autrefois, de fermer les yeux sur tout ça) mais agitent, féroces, leurs matraques dans l’espoir qu’elles se logent quelque part entre l’os et le gras de quelqu’un qui ose encore penser tout haut. Hors de question, tu te doutes, de tâter du gourdin.

 

Ici, c’est de mal en pis : on dit que la guerre approche avec toutes ses tensions de plus en plus palpables. La religion est la plus belle invention pour diviser les hommes. Enfin, la situation n’est pas encore critique, nous avons un bon garde à manger dans les villes, histoire de compléter d’éventuels bons de rationnement : nous mangerons des pigeons chassés par nos soins, repus des glaires de nos semblables et personne n’y trouvera rien à redire : ils sont bien plus dodus que les rats et les chiens errants. La voisine s’est enfin résolue à abandonner son chiwawa : gaver cette bête pendant des années n’a jamais été rentable.

 

Bref, les jours sont sombres, tu es bien là où tu es, à l’asile, entre quatre murs, avec une camisole de force : c’est une situation rêvée, paraît-il. Le gîte et le couvert sans risque de sodomie (on en avait parlé, tu te souviens ?). J’espère seulement que les électrochocs ne reviendront pas à la mode, sans quoi tu ne tiendrais pas le choc. Je pense souvent à toi, à nos vies ennuyeuses qui n’avaient pas, alors, l’odeur du fantasme.
Bien à toi,

 

Valentin.

 

Texte écrit  le 24 septembre 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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décembre 12th, 2012 at 12:23

« les pigeons repus de glaires »! Je n’y avais jamais pensé! Maintenant, grâce à toi…. Merci, Nicolas!

décembre 12th, 2012 at 4:50

Je les vois faire bien souvent, ils font partie des résidents de mon quartier. Tout simplement abject.

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