Billet

Eros

 

Est-ce l’Heure ?

 

Je veux dire, cette heure que nous attendons tous de découvrir parmi les étoffes, les lumières, les emballages fallacieux, un réel cadeau qui viendrait d’un coeur aimant, comme un baiser doux qui se pose ici, la morsure d’une araignée rimbaldienne, la brûlure exquise d’un feu païen et religieux que viendraient laver nos silences. Un moment sans sentence, terriblement grand, ouvert à l’éternité. Je te regarde, tu n’es pas vraiment là. Tu te dis : ce cadeau, je ne peux le recevoir. Tu poses ta main sur ma bouche et me dit qu’il est temps de partir pour une destination qui ne connaît pas vraiment ces rites, un pays dans lequel tout semble naturel, les projets ne peuvent être établis parce que ce mot même n’existe pas. Tu me dis que là-bas, nous serons bien, comme un invitation à un voyage qui serait baudelairien, où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », où les prisons que notre inconscient se forge au fer chaud, jour après jour, n’ont plus raison d’être. Tu me dis que ce magnifique pays est celui de la Liberté, non pas celle qu’on nous promet, qu’on nous vent, qu’on nous rabâche, mais celle qui Est, ou du moins devrait être. Et je suis censé te croire, parce que je Veux croire, quand je ferme les yeux, quand je te regarde, quand mes mains froides rencontrent ton corps chaud et lumineux. Ce monde se trouve à la conjonction des montagnes, couvert d’un voile de brume. Je ne le comprends pas : il ressemble tellement au monde réel, dont il est une copie parfaite, tellement parfaite qu’elle me perd. J’y marche et je sens encore mes pas. J’y cours. Mes muscles sont lourds et fatigués, ma respiration haletante. Je fais en sorte que ce qui me sert de visage se mire dans l’eau d’un ruisseau ivre et fougueux et lit, encore, sur mon visage, mes craintes, mes peurs, mes tourments, mes désirs brûlants comme la glace. Je me retourne et tu as disparu. Tu disparais toujours.

 

*

 

« Nicolas ? »
« Oui ? »
« Tu m’as dit quelque chose cette nuit ? »
« Tu as rêvé. »

 

Extrait du recueil Les Corps Cendrés :

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