Billet

Fantasme : Les Nouveaux Voisins

J’avais prié Dieu qu’il nous ponde une canicule pas piquée des vers, histoire de dézinguer les Dujardin, ce couple ventripotent adepte de la médication à outrance, cela pour le bien de la sécurité sociale et de son trou pharaonique, mais aussi, et surtout, par soif de renouveau.

 
C’est désormais chose faite : par l’ouverture d’une fenêtre immense, voilé de rideaux d’une hideur sans nom, un clan de pompiers libidineux a recueilli les corps gras et dénudés des deux fantoches, retrouvés morts – et nus, c’est dégoûtant – face à leur feuilleton préféré dont les bribes hélas traversent les murs, les vitres et les saisons : Plus Belle la Vie, fiction qui vous fait aimer la mort.
 
Aussitôt vinrent les nouveaux voisins, de quoi vous faire aimer la vivacité de ces agences immobilières auxquelles tout profite, même les cadavres encore frais qui n’ont pas pris le chemin de la terre : sexy en diable, avec leur gros camion, je me suis arrêtée, émerveillée, devant ces magnifiques éphèbes qui visiblement passent des heures entières dans des salles de sport : deux jeunes gens à vous faire pousser en vous des envies d’adultères ! Fort heureusement, mon compagnon a eu la bonne idée de décéder lui aussi, me laissant seule, livrée aux plaisirs des jeunes gens désoeuvrés. La mort nous fait parfois de bien jolis cadeaux !
 
M’installant à une terrasse ombragée, je profitais du bar du quartier pour reluquer ces deux musculeux garçons dans ce va-et-vient plein de promesses, chargé d’hormones et de testostérones : les promesses d’un déménagement, les muscles qui bandent quand le camion se décharge, l’imagination qui cavale à cent à l’heure sur l’autoroute du fantasme. J’étais toute chose, j’en salivais d’avance, domestiquant non sans mal mon extase.
 
J’en tombais presque de pâmoison sur le bitume chaud et nacré, quand, hélas, très vite, je déchantai : je vis une fille, puis deux, surgissant d’une voiture petit budget : le début des ennuis. De la concurrence rude : belles jambes, beaux seins, bouches aimables (probablement maladroites ou boudeuses) tout cela qui prévaut sur l’expérience, mais rien, heureusement, qui n’indique chez ses jeunes femelles une gourmandise extrême. Ces garçons, connasses, m’appartiennent !
 
Je pourrais peut-être en céder un : le moins costaud des deux, le plus petit, le plus banc : ses mains n’indiquent pas qu’il possède un gros chibre et puis, il semblerait que certains cartons lui fassent peur : une candidature un peu douteuse pour postuler entre mes cuisses. Mais l’autre, oui l’autre, il pourrait enchanter mes ovaires s’ils n’étaient pas si flétris par cette vie sexuelle misérable à laquelle je me suis pliée, pensant que l’amour me sauverait des vicissitudes de l’adolescence – et de l’alcoolisme.
 
Ce sont les petits jeunes du quartier qui m’ont sauvé un soir de ces désillusions en partageant avec moi les vestiges de ma chair : les Dujardin me condamnaient du regard, planqués comme des cafards derrière leurs géraniums, chrysanthème des morts-vivants. Mais ces nouveaux voisins, je les suivais du regard, les dévorant déjà, dans chaque aller / retour, surtout lui, le plus costaud, que j’imaginais rustre, et macho.
 
Je me voyais déjà lui demander s’il ne pouvait pas me céder – contre ma gratitude éternelle – une pincée de sucre, un soir, avant que de l’inviter à boire une petite décoction maison et d’exercer sur lui cette fascination tendance qu’ont les jeunes hommes pour les femmes expertes, la viande faisandée. Oui, j’en frémissais d’avance, et qu’importe que ces jeunes nymphettes minaudaient devant eux, portant comme des sacs ces petits cartons qu’elles balançaient avec une feinte désinvolture au bout de leurs petits bras osseux.
 
Les nouveaux voisins s’installèrent très vite, fort bien, erraient dans leur appartement à moitié nus tant et si bien que je me planquais derrière mes bambous, à les reluquer avec mes petites jumelles, espérant ne jamais revoir ces péronnelles : je fus exaucée.  Bien que seuls, toujours, allant toujours par deux par delà les rues, dans leurs chemises  impeccablement repassées, dessinant leurs pectoraux toujours aussi puissants, ils déclinèrent sans relâche mon invitation : ils préféraient me céder des kilogrammes de sucre plutôt que de socialiser avec moi, ou avec n’importe quelle autre femme, quel que soit son âge.
 

J’imaginais qu’ils étaient homosexuels, que je les surprendrais, un beau jour, s’enlaçant par amour, ou, par chance, se suçotant la glotte, le pénis, mieux : se pénétrant sauvagement sur la table du salon, à l’aube du soir. Hélas, il n’en fut rien : j’appris par les ouï-dire ils n’étaient que mormons et, diantre, j’étais bien loin d’être une grenouille de bénitier, d’espérer quelque chose de ces eunuques-là, qui me rendirent la vie pénible puisqu’il semblait qu’ils étendaient leur influence de gastéropode : les jeunes gens du quartier, peu à peu, désertèrent ma couche. Et me voilà qui regrettais, amère,  le temps des géraniums.

 

Texte fantasmé le 31 juillet 2012, quand l’appartement d’à côté s’est vidé de toute présence humaine.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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