Billet

Kevin et Raoul

 

Kevin et Raoul, leur fastidieuse histoire d’amour me saoule. C’est une amourette assassine qui hante les traboules, un récit sans saveur, ni ciboule : ils se sont rencontrés à l’ombre du cyprès, pensant que l’amour est dans le prè. Forts de cette innocence si chère aux adolescents attardés qui préfèrent aux sirènes urgentes de la masturbation les charmes frelatés de la bibliothèque rose, ils se sont promis dès le premier baiser de rester ensemble, jusqu’à ce que la mort les sépare, puis, parce que ce serait faire les choses à moitié, de se rejoindre à jamais dans les filets garnis de l’éternité. Tel est le destin rêvé des midinettes et des garçons à la virilité pas très nette.

 
Kevin et Raoul ont développé leurs sentiments dans l’arrière-cour, comme deux volailles un peu stupides, écartées des jeux cruels de la basse-cour. Ces deux amours, à court d’idées, préféraient jouer au docteur maboul, plutôt que de s’exercer dans les règles de l’art à jouer au docteur, intemporel classique des enfants, perverses miniatures à l’image des hommes. La découverte du corps, c’est la porte ouverte au mal, affirmait l’un et l’autre, timoré, refrénait dans l’instant son désir immense : un filet d’eau claire, sur la fibre de son caleçon.
 
Kevin et Raoul, qui les imagine nus si ce n’est eux-mêmes, dans l’immense hypocrisie de leurs fantasmes récalcitrants ? Des fantasmes que d’aucuns chasseraient à coup de Bible : les bigotes désoeuvrées, les jouvencelles vendues au Christ par des parents ignorants, quelques curés mal récurés qui pensent trop à la vie frémissante qui s’agite sous leur soutane. La nuit venue, des croquemitaines en pull marins fondent sur eux, les enveloppent, se saisissent de leurs corps transis par des sensations venues d’ailleurs : c’est un délice fondant et aqueux  que ces songes qui les rongent jusqu’à la moelle, ces fantômes entêtés qui s’évanouissent dans la chaleur des premiers poils.
 
Qui sont Kevin et Raoul ? Des siamoises intoxiquées par les plus beaux serments, deux frères frappés d’une morale exemplaire et fort peu aventureux qui refuseraient de se toucher ? Deux adolescents bien trop chastes qui confondent l’amour et l’amitié au point de s’inventer une forteresse à deux ? Deux créatures fragiles et utopistes vouées à une vie secrète qui finira par les séparer tôt ou tard, une fois les mirages de la vie découverts, une amourette qui ne résistera pas aux premiers pas dans la Ville ? Raoul et Kevin n’imaginaient pas, avant que de se promettre l’amour, ces sacrifices impossibles qui nous lient dans les chairs, combien sont laborieux, détestables et impossibles, les rapports sexuels poussifs entre passifs.

 

Texte écrit le 30 mai 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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