Billet

La Petite Fille aux Cheveux Gras


On dit des petites filles qu’elles se touchent les cheveux : le contact d’une soie, la féminité en fils d’argent, rivière ambrée, émeuvent les moins graciles ; pour les plus jolies d’entre elles, c’est l’éternité d’une certitude qui caresse leur visage serein et amusé –  et les jours sont beaux.

 
Mais cette petite fille qui a les cheveux gras, penses-tu, cette petite fille, qu’elle soit belle ou pas, et bien quand elle se touche, elle a de l’huile sur les doigts ! Peu de temps après ses doigts sont crasseux et l’on dit d’elle, bagatelles, que c’est une coquette sale !
 
Voyez-vous ça, une coquette sale !
 
Quand elle grandit, la petite fille aux cheveux gras, quand elle grandit avec un corps de femme et qu’elle a – enfin – le pouvoir d’essayer tous les shampoings chimiques ou organiques dont la terre dispose, pour conjurer l’ignorance de Dieu et la kyrielle de boutades concoctées par des générations de petites filles méchantes, et de brutaux revêches obsédés par la friture, elle réalise alors – pénible conclusion – sa condition perpétuelle de femme Colza.
 
Un jour, plus que jamais, le désir vient se poser sur son corps comme un papillon, une chauve souris vorace et carnassière : c’est qu’il palpite et qu’il bout jusque dans les chairs profondes, qu’il lui déchire les entrailles jusqu’à la réchauffer ! Des images de garçons aux yeux qui brillent, cheveux soyeux, lui reviennent en tête : hier encore, ils se moquaient d’elle. Elle n’en a cure à présent qu’elle les fait revivre, en petits soldats lubriques, et qu’ils pénètrent son corps fébrile, à la solde de son bon plaisir.
 
Un doux bonheur qui enivre… et qui peut faire mal :
 
La petite fille aux cheveux gras, elle se touche le bas ventre avec la frénésie d’une allumette, elle ne pense plus désormais qu’aux garçons rêvés qui se frottent sur elle avec l’extase amoureuse des jouvenceaux, qui se multiplient en elle, alors qu’elle caresse, pantelante, son sexe qui palpite, brasille, et bout,  jusqu’à la combustion…
 
Instant tanné !
 
Aux cendres, un amas stellaire, on reconnaît la goûte d’huile, l’odeur âcre et grossière de la petite fille aux cheveux gras : ses parents pleurent, ses sœurs en rient, Colza Fever, ses frères chahutent dehors pour laisser place au soir : on attend le barbecue, des invités deluxe : des gens issus du monde merveilleux de la télévision.

 

Texte mis sur le feu le 9 Janvier 2012

Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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