Billet

Les Méfaits de la Méditation

 

Viens, je t’emmène méditer dans la forêt. Ne sous-estime pas les bienfaits de la nature sur l’homme, quand nous communions avec elle de toute notre âme et qu’il semble bien que nous fusionnons hors du temps dans cet état qui nous appelle à l’univers : le OM des bouddhistes, si cher à mon bien-être.
 
Viens, je t’en prie, oublie les vicissitudes de la vie quotidienne : les capharnaüms incessants de la ville, les exigences pénibles d’un labeur qui te crucifient au quotidien et t’éloignent du bonheur. Oublie donc ta femme, tes enfants cruels et perfides qui dévorent chaque jour les miettes de ton humanité : ami, tu as besoin de te recentrer sur toi, de communier avec le Grand Tout. Vois comme je rayonne, et rayonne avec moi !
 
Viens !
 
***
Hermann était dans la forêt avec son ami, initiateur de cette idée farfelue, probablement libératrice de s’adonner à la méditation dans la forêt, de recharger son énergie en utilisant les arbres, de fusionner avec la nature pour renaître enfin. En effet, il sentait bien que tensions s’accumulaient en lui, qui détruisaient peu à peu son humanité : cela, il le ressentait avec plus d’angoisse chaque jour, comme un étau funeste qui se refermait peu à peu sur lui. Hermann, se dit-il un matin, blême devant le cruel reflet de la glace : Knecht a raison, il faut que je m’oxygène, que je régénère mes chakras pour renaître tout à fait.
 
Il faisait beau ce jour-là, un doux vent et le chant des oiseaux berçaient la nature dans son plus bel écrin ; l’odeur de la terre, celle des fougères, ravissaient les narines. Il semblait qu’à les respirer, l’être se chargeait déjà d’ondes positives : une perfusion de bonheur, une indolente irradiation.
 
« Choisis ton arbre, et respire de cette façon, en faisant le vide en toi. »
 
***
 
Une fois ces précieuses indications divulguées, la mise en pratique des exercices de méditation concluante, Knecht, satisfait des progrès de son disciple, s’absenta pour cueillir des baies, laissant son ami seul, qui découvrit ainsi les innombrables et inénarrables bienfaits de méditation… tant et si bien qu’il resta prostré dans la béatitude de son éveil plusieurs jours durant alors que son ami, non loin de là, dans l’agitation frémissante de la forêt, se fit dévorer par un grizzli tourmenté, et ne revint jamais !
 
Hermann, tout absorbé qu’il fut par cette transcendance nouvelle, ne se rendit pas compte de cette absence prolongée et mourut, force de béatitude. Leurs squelettes furent retrouvés, bien des années plus tard, par des moines tibétains qui passaient par là.

 

Texte médité le 8 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

Acheter Au Bonheur des Drames

Share Button

Vous aimerez peut-être :

  • Discours de Marie Jeanne   Peuple de l’herbe, aux quatre coins de globe, je m’adresse à vous. Nous avons la faculté de communiquer par télékinésie et nous ne le faisons pas ; il est temps, mes sœurs, […]
  • Frette Galante – Buissons Ardents  Elle m’a dit « viens », tout simplement, comme on dit bonjour, on annonce le printemps « viens et fais semblant », et m’a trainé fissa dans les buissons. Elle m’a dit « chut, […]
  • Des Déserts et des Sphinx   Je n’aurais pas dû faire ce voyage, subir l’outrage de ses mirages ; le monde jaune comme un désert luisant, sous un voile de chaleur, des hommes encapuchonnés qui me […]
juillet 25th, 2012 at 2:09

Charmant!

juillet 25th, 2012 at 11:19

J’adore ton humour macabre!

juillet 26th, 2012 at 12:32

N’est ce pas ! Hermann Hesse doit se retourner dans sa tombe 🙂

juillet 26th, 2012 at 12:33

Merci Calyste 🙂

Anonymous
août 13th, 2012 at 10:04

Toute chose comporte en effet sa dose de danger. Merci à toi Nicolas pour ces superbes textes et ton originalité !

août 17th, 2012 at 11:38

🙂

Laissez un commentaire

theme par teslathemes