Billet

Mourir Dimanche

 

Farouche adepte de la procrastination, tu envisages l’abîme avec sérénité : tu sais la mort proche, qu’elle peut sonner à la porte n’importe quand avec cette pugnacité ignoré des facteurs, la farouche constance des éjaculateurs précoces. Imagine : elle se dessine dans les traits de cette belle femme qui te convoite et courbe l’échine sur la terrasse de ce café, à l’ombre de l’été, elle se suspend comme un koala sur le fil du rasoir, assurément électrique, une caresse sur tes joues d’albâtre. Curieuse, elle te regarde même par la fenêtre, à côté de cette voisine esseulée qui te reluque le soir, dans la pénombre, équipée de ses jumelles au zoom archaïque, petit théâtre d’ombres.

 

Un jour que tu t’ennuyais férocement, tu t’amusais à l’appeler : trois fois, face au miroir, les yeux fixés sur ton image molle, et stoïque. Quelle drôle d’histoire ! Une petite incantation pour une légende urbaine qui se propage dans le village dès lors que quelqu’un décède. Quelqu’un qui ne l’avait pas convoqué, évidemment : ceux qui aiment la vie en font souvent les frais. Mais toi, tu attendais et attendais encore, au point de t’imaginer, parfois, immortel. Le beau leurre : c’est juste qu’il n’est pas encore l’heure.

 

Et cependant, avide de faire ta connaissance dans ce grand speed-dating qu’est la vie, elle approche à petit pas, elle approche de toi ; la mort, pensais-tu, c’est un peu comme un zombie : elle avance pas très vite, lentement, et tout d’un coup, elle te saute à la gorge pour rompre l’étrange phénomène de la vie ! Elle ne s’élucide pas dans le suicide, ni ne se conjugue forcément au morbide, puisque fatale, létale mais cet empire qu’elle dresse sur toi depuis l’enfance fascine ta conscience dès lors que tu retrouves seul, tes pensées comme à la dérive.

 

Un jour que le bonheur t’a empoigné à jamais comme un voleur son butin tant convoité, prenant l’apparence gracile d’une jeune fille plein de promesses, tu ne voulais plus entendre parler d’elle, ni ne l’imaginais plus avec l’espoir d’un prisonnier ; tu remerciais le ciel de la trahison de cette amante promise mais le ciel, n’est-ce pas, n’est sourd qu’à l’instant de l’orage. Tu vas mourir ce dimanche et tu ne le sais pas : la mort est là, tapie dans l’ombre, non loin d’une paire de jumelles. Elle a pris la forme dynamique d’un timide revolver, caché dans le pli vulgaire d’une robe de chambre synthétique.

 

 

Texte écrit le 3 avril 2012.

Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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mai 21st, 2012 at 8:06

Pour moi, c’est est une caresse, un viol, une promesse… et aussi une espérance.

By the way, tes goûts musicaux me font frémir. Would you marry me ?!

mai 21st, 2012 at 8:27

Je comprends exactement ce que tu veux dire, ceci dit, il ne faudrait pas que cette garce se pointe au mauvais moment, comme pour ce dépressif un peu impatient qui, lorsqu’il a enfin trouvé eros, s’est retrouvé dans les bras de thanatos. Mais ce n’est pas pour ça qu’il aurait dû vivre avec sa voisine qui sent la naphtaline : la mort au sein même de la vie est bien plus pesante, mortelle. Ceci étant dit, je suis content de voir que tu aimes ce morceau, de même je me réjouis qu’on a des goûts en commun, ce que j’avais déjà remarqué quand tu avais construits une playlist. C’est si rare au sein du… bâtiment. Façon détourné de répondre à la question, peut-être 🙂

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