Billet

Nosferatus

 

Il passait sa vie à se nourrir de fantasmes étranges, que d’autres comprenaient pour les partager avec une assiduité folle : suçoter les pieds tordus des danseurs, mettre le feu au réfrigérateur, courir nu dans la tempête, fouetté par les grêlons, menacé par la foudre. On disait de lui, cependant, qu’il était un fou, ma foi ; un peu folle aussi, sur les bords, un tantinet précieux – et cependant, fort disgracieux, assurément laid, répugnant.
 
Il passait sa nuit à compter les amants déchoir dans ses désirs mornes, et le matin lisait non sans jouissance, comme toute femme un peu sotte qui croit en Dieu, la rubrique nécrologique : il s’inventait ainsi des histoires à dormir debout, et s’émerveillait d’y rencontrer parfois quelques vieillards récalcitrants qui le dégouttaient fort, ceux qui se trimbalent la bave aux lèvres, le corps tordu, dénivelé : une concurrence déloyale et sordide. C’est avec plaisir qu’il constatait la malchance certaines des prostituées qui lui avaient refusé sur un ton présomptueux le gîte et le couvert : « mon vagin est fait pour les hommes, pas pour les monstres. »
 
Les invertis d’internet offrant leurs corps gonflés d’hormones synthétiques aux impotents et aux mariés se refusaient tout autant à lui, le monstre, parce qu’il leur semblait se refléter dans cette décrépitude brandie comme un emblème : ce sera toi, demain, ce monstre dégoûtant, sans âge, ce cafard dégoûtant en quête d’une chair ferme, pour élire domicile, ce parasite gangrené par toutes les maladies envisagées, cet avatar de la destruction, ce suceur de vie en quête de jeunesse.
 
Il riait sous la lune, à la fermeture des bars, traquant quelques jeunes femmes un peu saoules, se fondant dans l’ombre d’hommes aux veines liquéfiés : il les menait dans une impasse, pour se saisir d’eux, à jamais, dans la crasse, comme un vampire, en moins sauvage, mais besogneux : Nosferatu informe, sous l’égide péremptoire d’un désir noir. Il se gorgeait des chairs pleines de sève, des organes génitaux qu’il envisageait, parfois, de trancher à l’opinel pour les conserver dans des bocaux à confiture – mais de telles preuves trahiraient sa nature profonde, la déconfiture de son âme.
 

Je l’ai vu un soir qui possédait une adolescente anémiée et d’autres, un peu gris, applaudissaient cette audace. Il me semblait, devant ce triste spectacle, impuissant comme un homme non concerné par les spectacles les plus immondes de la vie, avoir oublié cet accessoire vital, pour que cesse enfin la tauromachie, cette foire aux abats sordides mais j’avais beau chercher : point de télécommande dans les poches de mon blouson. Je me résignais donc à regarder le monstre officier, espérant y prendre un plaisir quelconque, avec l’espoir, cependant, que ce film finisse mal et qu’il laisse en moi cette trace profonde qui nous suit par delà le générique comme une ombre malsaine et va jusqu’à nous hanter, au plus profond de la nuit. 

 

Texte : Déjection du 26 août 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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