Billet

Blattaria ou la Nuit des Cafards

 

Nuits sans lumière, ils se faufilent, armée désorientée en quête de ce tout fragmenté, terre promise, lande de papiers, farines et féculents, à cette allure vive qui défie le temps et l’espace, confiné dans l’exiguïté de l’espace ouvert, nonobstant les possibles de la géométrie, alertes toujours, à l’affût avec leurs antennes, direction les céréales.
 

Tu rêves de dragées, navettes exquises dans ta bouche qui, opalescentes, deviennent noires, marrons ou jaunes et nul scutigère pour te protéger de cet assaut létal qui te paralyse : ton œil s’ouvre, tu les sens – l’invasion – ils sont là, omniprésents et s’en vont, apeurés, quand la lumière s’allume. Ta respiration, erratique, s’emballe, épileptique, te crucifie alors que ton corps se dirige avec crainte et appréhension vers les landes infectées.
 

Certains ont bu jusqu’à la lie ces coupelles de vin bon marché ; leurs cadavres répugnants, baignés de ces fatales libations, te soulagent et te dépriment. D’autres, dans une lutte frénétique, s’agitent sur des surfaces adhésives, leurs petites pattes folles vibrant comme des vulves hystériques. De leurs yeux minuscules et sombres, ils te foudroient de haine et voilà que ton cœur s’emballe. Le dégoût, immense, s’empare de toi et cette forme de peur insidieuse toujours plus viscérale, s’invite et s’invente pour imprimer en toi son emprunte fatale : la naissance d’une phobie.
 

*

 

Légions de garçons sont comme ces blattoptères que l’on chasse la nuit et qui, rapides, d’une course foudroyante, s’enfuient lorsque les lumières crues s’allument, la flamboyance du jour électrique révélant leurs ailes impeccablement soudées, une peau dure et luisante, forgée pour résister aux assauts entêtants de l’amour. Que dire de cette fuite constante contre le temps qu’ils commettent quand tu les envisages enfin, de ce dernier regard sans âme qu’ils te jettent comme une malédiction, ce regard narquois que confirme ce vin bouchonné de promesses, humectant à jamais leurs mandibules acérées ?
 

24 juin 2017.
Dédié à mon little lobster.

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Mister Freak
juillet 13th, 2017 at 6:43

Ahah, depuis le temps que je l’attendais, celui-là ! Sus aux envahisseurs nocturnes, le feu les purifiera ! Et, oh, les garçons blattes, un concept intéressant, à développer peut-être. Je dois dire que le dernier paragraphe m’intrigue. J’essaie de le pénétrer, il me résiste… Et c’est mon préféré pourtant. Va savoir. Il y a des choses qui parfois restent en suspens, comme ça…

juillet 13th, 2017 at 7:28

Tant mieux si tu n’es pas déçu. Je pense que ce sera plus facile de pénétrer les cafards que ce texte sur les cafards, métaphore filée ou non.
Blague à part, entre ça, un texte sur les scutigères et deux trois productions sur les myiases je crois que le second tome des Carnets Aviaires a largement son quota d’insectes.

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