Billet

Le Barbier de sa Fille

 

Nestorine, en plus d’être affublée d’un prénom saugrenu, est d’une laideur qui confine au ridicule. Mal aimée parce que la nature ne l’a pas gâtée, elle essaye de nombreuses techniques pour se faire des amis : acheter ses camarades de classe, obéir aux ordres, servir de bouc émissaire, apprendre par cœur des livres de blagues pour être drôle… En vain, rien ne fonctionne : Nestorine est toujours au banc de la société et s’efforce de vivre malgré tout. Mais quel est son désir le plus intime finalement ? Est-ce véritablement le même que celui de nombreuses petites filles : être belle et populaire ?

 

Dans la droite lignée de L’Enfance d’une Garce ou Les Protubérances, Nicolas Raviere explore de nouveau le côté féminin de la force avec Le Désir Secret des Moches, son huitième roman. Le Désir Secret des Moches est disponible en édition à la demande à l’adresse suivante : Le Désir Secret des Moches. Voici, en guise d’extrait, un chapitre du roman intitulé Le Barbier de sa Fille. Bonne lecture.

 

Le Barbier de sa Fille

 

Quelques rues plus loin, le salon de coiffure apparut devant mes yeux émerveillés comme un temple de beauté, étonnamment lumineux avec ces grands miroirs glacés dans lesquels se miraient des vieilles femmes flétries surmontées de ruches cuivrées. Des dizaines de grands posters de femmes aux cheveux implacablement laqués, entrelacs de fils barbelés, poudrées comme des poupées blafardes, imposaient le respect avec leurs regards sensuels lourdement appuyés de coups de crayons multicolores.
Quand nous franchîmes les portes du salon, ce fut l’ovation : toutes les conversations cessèrent d’un coup. Stupeur ! Stupéfaction ! Pétrification ! Un homme blond et élégant, qui s’égosillait en défendant les multiples bienfaits de la Chance aux Chansons, couvrant de ses piaillements la musique de Madonna, fut pris d’un spasme langoureusement violent et repris son souffle. D’un pas hésitant, cintré dans un gilet à carreau d’un goût fort douteux, il dodelina en notre direction.

« Heu, c’est pourquoi ? Se hasarda-t-il à demander avec cette assurance qui fait la gloire nauséabonde des vierges effarouchées.
– C’est pour une coupe.
– Une… coupe ?
– Une coupe de cheveux, pas une coupe de champagne, s’énerva Honorine, toujours sous le choc de cette rencontre avec Monsieur Dupont-Senti.
– Et c’est… pour qui ?
– C’est pour elle ! »

Flute, pensa-t-il tout haut. Pour le coup, c’est lui qui avait besoin d’une coupette ! Si la terreur était un masque, elle se serait greffée sur le visage pétrifié de ce blondinet réduit au silence : on devient coiffeur pour rendre les gens beaux, par amour du glamour, des potins ou de la tendance météo, sinon, l’on se dirige vers le cinéma, département des effets spéciaux. Des gouttes de sueur opaques perlaient sur son front, qu’il chassait d’un geste plus précieux qu’élégant.

« Je… je vais voir ce que je peux faire. Je finis avec Madame et je suis à vous. En attendant, je vous prie de bien vouloir patienter dans les fauteuils. »

L’inflexion tremblotante de sa voix, la peur imprimée sur son visage livide donnaient le ton, ce qui ne déplut pas à Honorine qui, se sentant reprendre du poil de la bête, utilisa l’un des fauteuils pour étendre ses jambes, y déposant ses pieds fort heureusement cachés par ses somptueuses bottines en peau de chamois. Paisible, elle dévorait un magazine de mode, s’émerveillant face aux gravures. Quant à moi, j’essayais d’en trouver un qui me convienne dans cette pile absconse : au pif, un tif magazine. Au programme : comment se déguiser en monstre terrifiant en créant un masque en papier mâché. Voilà qui me fit sourire : non seulement je n’avais pas besoin de ce subterfuge mais j’étais bien plus effrayante que ce satané masque censé filé l’ultime frisson !
Hélas, ma consultation de ce magazine riche en images fut interrompue par des paroles assassines que mon ouïe fort aiguisée décela non sans mal. Les vieilles pies, qui avaient sans doute oubliée de brancher leurs sonotones, devisaient du bout des lèvres avec les coiffeuses qui n’osaient pas les prendre à rebrousse poil.

« Non mais quoi, vous rendez vous compte ? C’est un salon de coiffure ici, pas de toilettage ! »

Je réprimais l’envie d’aboyer tel un chien enragé : j’imaginais le coiffeur terrorisé, incapable de me coiffer, les mains tremblantes, au bord de la crise cardiaque. Hors de question d’épouvanter cette créature fragile outre mesure. Par sagesse, j’essayais de faire abstraction de ces méchancetés qui, si elles me blessaient, m’étaient familières : les mots dits en silence, à défaut de me faire pleurer comme une enfant, meurtrissaient mes espoirs les plus doux.
Pas le temps de me morfondre outre mesure : pas franchement pimpant, et plus défraichi que jamais, le blondinet revint à moi sans conviction aucune et s’adressa à Honorine, qui, pour plus de confort, avait décidé d’ôter ses bottines pour exposer ses pieds tordus et odoriférant à la vue de tous, dans l’indifférence la plus générale. Elle continuait tranquillement sa lecture, doigts de pieds en éventails.

« C’est à vous. »
Je le crains.

Honorine, à peine dérangée, me fit signe de le rejoindre. J’obéis, pas très rassurée non plus : nous avions un point commun lui et moi, le partage d’un même calvaire. Pour ma part, je redoutais un énième vol des rapaces au dessus de ma tête mais qu’importe, cela ne m’empêcha pas de prendre place dans le fauteuil, une fois revêtu l’espèce de sac poubelle à manche qu’il me confia du bout des doigts.

« Qu’est ce qu’on lui fait, demanda-t-il à Honorine, n’osant pas me regarder, tout en vaporisant de l’eau sur mon visage, histoire d’humecter ma chevelure disparate. Plus que jamais, j’appréhendais déjà la précision de sa gestuelle une fois les ciseaux en main.
– Ce que vous voulez ça m’est égal. Soyez créa’tif. C’est le nom de votre salon après tout. »
Muni de ces précieuses indications et de sa paire de ciseaux que j’imaginais fort tranchante, il commença à couper ici ou là sans prendre soin de regarder mon implantation : ce genre d’étude minutieuse lui prendrait des heures. Néanmoins, passant un peigne dans mes cheveux, il put constater, ornant les aspérités de ma chevelure grasse, quelques cicatrices immondes qui, visiblement, ne furent pas de son goût. De livide, il devint diaphane, tourna de l’œil et s’évanouit dans un mouvement digne des plus grandes tragédiennes.

« Albéric ? Hurla une coiffeuse ayant visiblement ratée sa vocation de poissonnière.
– Alberic, s’égosilla la seconde qui, hyperactive, lui donna quelques gifles bien senties. Ca lui fait souvent ça, s’excusa-t-elle auprès d’Honorine qui, abandonnant ses lectures, souriait bêtement, dévoilant ses plombages les plus discrets. Elle ajouta : le pauvre, il manque de glucose !
– Donnez-lui un biscuit ! Conseilla Honorine, qui se sentit d’un coup l’âme altruiste et généreuse. Elle fouilla même ses poches et ne trouva qu’une barre de caramel qu’elle préféra garder pour elle. Sans doute sa façon bien à elle de faire des blagues.
– Le coquin, il aime les biscuits, s’emmêla une cliente, visiblement amusée. Mais je crois qu’un verre d’eau serait plus adéquat. Il a l’air de se déshydrater.
– Un verre d’eau, s’exclamèrent les coiffeuses qui, fusionnelles, lâchèrent leur poste de travail pour se ruer sur le premier robinet venu, remplissant chacune à ras bord un gobelet en plastique qu’elles s’empressèrent de lui jeter à la figure ! »
De retour parmi ses congénères, Alberic s’affala dans le fauteuil à côté d’Honorine, peu gêné par l’odeur insidieuse de ses pieds. Peu à peu, il reprenait des couleurs tandis que sa collègue, la poissonnière, soignaient mes écailles avec un doigté tout particulier.

« Je laque, me demanda-t-elle ? »

Je hochais la tête pour acquiescer, ne sachant que dire et, tandis qu’elle exécutait cette technique visiblement importante pour me figer dans cette nouvelle apparence d’écolière, j’entendis la suggestion d’Alberic qui devisait avec sa toute nouvelle copine, j’ai nommé Honorine :

« Elle aurait dû dégainer l’insecticide ! »

Le résultat devant la glace ne me transporta pas outre mesure : certes, je notais un semblant d’amélioration mais force est de constater que je n’étais pas plus belle, à peine plus convenable. La magie tant vantée des laques à cheveux Hellnet n’opérait pas sur moi. Cependant, je n’étais pas venu pour rien : j’appris bien malgré moi que le propre des sodomites était de tout faire par derrière et qu’en cela ces prétendus hérétiques ne sont pas si différents des hétérosexuels.

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Mister Freak
juin 9th, 2017 at 5:22

Comment se fait-il que tu sois aussi fertile ? J’en deviendrais presque jaloux.

juin 9th, 2017 at 9:08

Faut pas, je fus fertile fut un temps mais je n’ai rien écrit pendant 3 ans (après ce roman fini en décembre 2014) à part un billet ici ou là et quelques pages de mon journal. Là, c’est revenu (j’anime des ateliers d’écriture, ça m’a reboosté en créant une sorte d’émulation dont j’avais besoin).

J’espère que tu vas bien sinon. Et que tes projets d’écriture avancent ! Ca fait plaisir de te voir de temps en temps ici.

Mister Freak
juin 10th, 2017 at 8:28

Je t’avais envoyé un mail il y a quelques jours. Je ne sais pas si ton adresse est toujours d’actualité.

juin 10th, 2017 at 11:39

Super. Je viens de voir ça, je n’utilise plus beaucoup cette adresse depuis que je suis passé sur ce site, c’est devenu un vrai dépotoir (entre les pubs, les notifications OVS… une pollution de tous les instants et décourageante). Je viens de retrouver tes messages du coup et je t’ai envoyé une réponse. 🙂 Au pire pour être sûr tu peux m’envoyer un message par l’adresse webmaster du site (formulaire de contact), je suis sûr de le recevoir même si j’y vais peu souvent.

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