Billet

Les Gouines de Fadela

 


Cette nuit fut particulièrement courte, et dans les cycles supposés du sommeil, et dans sa durée ressentie, Bergsonienne, dirons-nous. J’ai rêvé de L., mon ancienne petite amie, l’une des dernières, voici quand même quinze années, et qu’elle était une gouine de Fadela, que Fadela la léchait goulûment et m’en faisait des rapports : consistance de l’utérus, douceur des muqueuses, liquide saumâtre, une langue opiniâtre parait-il, pour un langage limité, éclatant l’espace. Mais le langage est toujours limité quand on baise, il est brut, il est bon, motivant, excitant. Je suis mélolagne. Un peu. Parfois terriblement. Mais seule m’excite la parole, dire, et entendre, sans forcément écouter. Ca renforce l’idée scénarisé de l’acte sexuel. Mais certains mélolagnes sont plus curieux encore, sûrement plus atypiques : D., « toujours motivé par de nouvelles expériences », parle à cet homme excité par d’autres sons, liés aux matières. Ce dernier doit s’adonner à la fornication d’une manière très curieuse, mais je pense que nous ne forniquons pas tous de la même façon ni que nous nous assemblons à l’identique, cela même dans des rapports sexuels classiques, autrement dit limités : pipe, pénétration, pipe, pénétration. So-do-mie (ce son est très musical, quand Fadela le scande, entrouvrant légèrement ses lèvres carmin). Les gouines de Fadela ne se pénètrent que digitalement, elles n’aiment pas le contact du plastique, sentir dans leurs vagins ces bites virtuelles que parfois les gouines utilisent, parce qu’elles sont incomplètes. Certaines s’en attachent, avec une ceinture, pour donner l’illusion à leurs brues qu’elles sont d’un troisième genre. Certains hommes, pas forcément homosexuels, pratiquent cela, écartant les jambes en donnant à leur femme l’accès à leur anus humide et désireux. Il y a des filles hétérosexuelles pénétrantes. Leur psychologie m’attire. Ces derniers éléments ne sont pas dans le rapport, mais dans la vie « sensible, concrète, telle qu’on peut la toucher, la saisir, sans jamais pouvoir exactement la manipuler » comme je disais dans une précédente entrée de mon journal. Cependant, le rapport continue : L. n’étant pas particulièrement étroite, du fait de sa corpulence, et de ses désirs, les doigts ne lui suffisaient pas, alors les gouines de Fadela, sous l’égide de leur dictateur, étaient autorisées d’utiliser leurs pieds, pour la combler, après les avoir recouvert de cellophane car les pieds de ces gouines-là étaient couvert de verrues – les verrues plantaires sont éminents contagieuses dans ce rêve. Certaines personnes adorent les pieds : les masser, les sucer, les prendre en bouche et s’en délecter comme d’une queue, d’une muqueuse et d’autres, en revanche, détestent, exècrent, vomissent les pieds, car c’est bien la partie extérieure, dirons-nous visible, la moins harmonieuse d’un corps humain, une excroissance pratique, aux lignes, aux contours absolument douteux et inesthétiques, surtout chez B. qui pourrait les avoir palmé que cela ne ferait pas grande différence. Le rapport n’est plus et la scène se dessine sous mes yeux : L., affublée de deux moignons, garde toujours ses chaussettes, avant de se faire pénétrer par Fadela and co. Impatience, exaltée, elle écarte ses jambes, dévoilant des montagnes de varices, de cellulites, et les chairs pendent, comme des jambons, et des exhalaisons de viande dansent dans l’espace. Et L. sourit. Elle est secrétaire. Elle sait donc sourire sans trop se forcer. Fadala sur un trône domine la scène et ses servantes lesbiennes comme une procession, pénètrent L., une à une, dans une étrange tournante musicale, ponctuée par les cris porcins de L., laquelle, agitée par des convulsions toujours plus extatiques, exulte, gémit, cumule les orgasmes, ouvrant de plus en plus son temple, comme une porte étrange, mouvante, émouvante. Fadela se lève alors, dignement, et les gouines s’écartent, la laissant passer. A elle seule, elle est cortège, et toutes les gouines à la fois s’abaissent dès lors qu’elle les dépasse. Etrange procession. Mais Fadela avance vers L. qui gémit de plus en plus fort, le visage déformé, contorsionné par l’orgasme, les yeux révulsés, injectés de sang. Puis Fadela entre dans son corps : d’abord la tête, puis les épaules, la poitrine, le ventre, les fesses, les jambes et Fadela disparaît en elle toute entière. Les gouines, elles, se consument et s’évaporent sans un bruit, dans une odeur de forêt. Des milliers de spores flottent dans l’espace. C’est l’éjaculation collective. Cassure, déplacement, enfin cela est typique de l’architecture du rêve que les lieux permutent sans cohérence : me voici cloîtré comme il m’arrive souvent de l’être dans ce genre de pièce qui conjugue l’aspect carcéral et l’aspect psychiatrique d’une chambre d’isolement. J’y vois un lit, avec des sangles. Mais je suis libre. L. est entrée dans la pièce, avec son tailleur de secrétaire, boudinant tellement sa graisse qu’elle ressemblait à A. ligoté dans ses jeans. Elle m’a regardé attentivement : « Nicolas, tu as changé, mais tu es toujours identique. Je sais ce que tu penses du sperme, que c’est la meilleure chose, et en même temps la chose la plus dégoûtante existant en ce monde. C’est pour cela que je suis devenue gouine, pour assouvir ta troisième volonté. » Et ce fut tout. Le quotidien m’attend, avec encore cette phase légèrement trouble qui précède la levée du corps.


(Ecrit le 15 mars 2007)
Extrait de Querelle(S, journaux intimes mais non confidentiels, toujours disponibles sur Thebookedition en format papier et numérique. 

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