Billet

Une Question de Tuning

 

Tu n’avais pas un physique facile : la blague est facile, d’autant plus qu’évidente et pourtant tu nourrissais l’espoir d’être Beau un jour, à défaut d’être riche, un challenge que tu n’étais pas prêt à relever, par manque sévère d’ambition. Il n’est guère possible, après tout, d’être sur les fronts, à moins d’être enrôlé par l’état dans une guerre interminable, un lynchage prométhéen au profit du capitalisme, rapace des plus voraces.
 
Ton drame, plus viscéral, te ronge chaque jour : un physique ingrat, peu importe l’orthographe. La nature n’est point si palpitante, et tout aussi cruelle qu’une guerre : c’est qu’on ne choisit pas son apparence, ses paramètres physiques d’origine, les composantes de son ADN mais il est toujours possible de modifier certaines données, dans la limite du raisonnable – une conception somme toute personnelle, à la mesure d’un Ego. Suffit de se vouer corps et âme au sport, ou d’offrir son âme délétère à Méphisto le plasticien.
 
Portrait Robot : tu es roux, tu te voulais brun, tu as les yeux bleus, mais n’accordes de mystère, de grâce, qu’aux verts, flanqué d’oreilles un peu trop grandes, un peu trop décollées, d’un nez rustre et aplati, le visage constellé d’excroissances buboniques, un teint mi-vert mi bronzé qui n’est finalement pas l’apanage des fumeurs, tout cela qui te faisait naviguer en tous lieux tous endroits de sobriquets redondants en pseudos ridicules : Dumbo, poil de carottes, monsieur patate, calculatrice, face de poireau, Willy la lèpre. Liste non exhaustive, censurée par l’inconscient, pilote d’une mémoire éminemment sélective.
 
Qu’importe : tu savais que les femmes et les hommes du monde d’aujourd’hui craquent pour l’anatomie, ces corps musclés qui s’exposent avec souveraineté dans les médias, ornent les magazines, souillent de leur perfection les clips vidéos, émeuvent la rétine dans les films de seconde zone : nombre de ces créatures jugées parfaites n’ont pas un beau visage et pourtant, ils sont bien encadrés. Un joli visage, c’est assurément un plus, mais ce n’est plus un passage obligé pour le bonheur. Quand on se décline en muscles, tablettes de chocolat, puissance plastique, l’apparat d’une carrosserie, alors, tout est possible. Ce n’est qu’une question de tuning.
 
En attendant d’étaler ce nouveau corps à la face du monde qui te conchie, ce corps de commando prêt pour toutes les guérillas charnelles, ce corps aux muscles saillants qui t’es promis si tu t’acquittes d’un travail acharné sur des machines implacables, une vérité, une seule,  te conforte dans ton choix : les mecs qui se façonnent un corps superbe alors qu’ils ont un visage ingrat peuvent aisément  jouer dans les films pornos : après tout, comme pour les crevettes, on ne consomme jamais la tête.

 

Texte écrit le 2 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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Loïc P
septembre 4th, 2012 at 2:02

J’adore ton humour, à la fois cynique et satirique. Et la chute : au poil. Je reviendrai sur ta page.

septembre 5th, 2012 at 1:48

Merci pour ce commentaire Loïc 🙂 Bienvenue et à bientôt !

Anonymous
octobre 22nd, 2013 at 9:48

Ta plume est vraiment belle ! (Tom)

novembre 8th, 2013 at 2:41

Merci Tom 🙂

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