Billet

Le Blues du Carnetier

 

Sur l’ondée claire des matinées, face au séjour aimé et languissant, tu écrivais de jolis textes surannés, merveilleux et ouatés, un tantinet brumeux : chacune de tes oeuvres ressemblait à ces breloques un peu mignonnes qui peuplent poussiéreuses les précieux étals des antiquaires obséquieux, ces pierres précieuses qui s’impriment sur des mains décharnées.

A l’heure du thé, sous l’égide d’un soleil saisissant, tu transformais ces heures lentes en coma sulfureux : le désir des garçons naissait ici ou là comme vient le vent, un peu n’importe où, comme s’inventent les baisers à la lumière du soir, les mains se promènent délicates, sur l’auguste sphère d’un torse glabre, dessinant les contours d’un désir contre nature : la puissance informe et lénitive d’un harem d’eunuques !

Tu éclatais à chaque page avec ce lyrisme précieux, un poil baroque, férocement liquoreux, vaguement entêtant : une littérature pour bourgeois ankylosés de festins gras, ceux-là même qui n’osent plus – invertis des placards – rêver des bouges qui ornent le firmament. C’est pour ces honteuses émasculées que tu aimes à déverser l’encre de ta plume, pour ces rentiers ataviques qui ne savent plus apprécier l’onirisme des nuages qui passent – et trépassent : à leurs yeux boursouflés, tu éclatais avec la mollesse soudaine d’une bulle de savon sur une toile scintillant le Stupre. Tu existais, ainsi qu’une étoile, dans une galaxie vide de sens.

Je rêvais, parfois, de te prendre en otage, toi l’homme de ces fantaisies mornes et délavées, élégantes assurément, pour trancher d’un couteau oxydé le fil gonflé de ta carotide, faire perler sur ta peau livide et ridée la sueur purpurine de ton corps aviné, comme un amour nouveau, une rivière de vie, une révélation – cela pour te faire naître. Car il manque au canevas de tes images l’âme qui agite des souffrances comme autant de drapeaux multicolores, cette âme qui transcende les mondes enchantés que peignent tes mots éminents et précieux, et ce sperme, le drapeau blanc de ta morne défaite, ourlé en gouttes de crème dans le velours splendide de ton pantalon.

 

Prose composée le 15 octobre 2011 pour le recueil L’Amoureux Adéquat :

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octobre 28th, 2011 at 12:04

Étrange comme ton texte m’a rappelé ces monologues/dialogues que nous avions avec Yvon (tu sais qui c’est, toi qui me lis presque depuis le début) avant qu’il ne décide de s’en aller mettre un peu de folie dans les étoiles.

Mister Freak
juin 30th, 2017 at 5:16

Je suis frappé par la sensorialité de ce texte. Merci pour ce moment de beauté. Ça a fait ma journée.

juin 30th, 2017 at 7:36

Il semblerait bien que l’adage se vérifie : c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe.

Coucou73
août 23rd, 2017 at 9:12

Romantique et cru à la fois, subtil équilibre !

août 25th, 2017 at 7:09

On essaye oui, bien qu’on ait un sévère penchant pour le déséquilibre et surtout les déséquilibrés, aussi ^^

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