Billet

Les Jupes

 

Les Jupes, rue Fevret. Dans l’auguste félicité d’un soir pluvieux, je me souviens de vous, vrillant et ricanant mollement comme des commères trépanées, vos lèvres molles et violettes faisant palpiter aimablement les stries de l’alcoolisme, des sillons dessinés à l’encre rouge sur vos peaux délicatement porcines.

 

Quelle émotion en moi de vous revoir ainsi bavarder sous un feu rouge, battre le pavé à l’allure des gastéropodes, vos paniers d’osier chargés de liquides osés, d’un sang liquide qui se substitue au vôtre : un bonheur simple, et familier.

 

Quel plaisir à nouveau de me confondre à ces images d’autrefois, madeleines frelatées du siècle dernier : ces petites femmes lentes et vaillantes qui se promenaient longuement par pack des deux, petites sœurs sémillantes et factuelles de Brigitte Fontaine, la poésie en sus, elles me souriaient souvent, comme si elles me reconnaissaient, petite fille illégitime.

 

Elles portaient des jupes, été comme hiver, que le soleil crève l’asphalte, que la pluie tombe à verse,  et sous ces jupes, d’affriolants bas de contention. Cette apparence qui les plaçait hors du temps : perpétuelle détention dans des habits semblables, témoin des jours qui ne passent plus, du temps qui se fige, s’éteint : deux fantômes d’un cirque de genre commun placés là, bavarde et heureuse sculpture, photographie d’une époque où se croisent les tendances, les stigmates purpurines de la France.

 

Il m’arrivait parfois, les Jupes, de vous imaginer nues, mues par une complicité sirupeuse sur fond de cirrhose, éperdues comme des vestales névrosées, de vous imaginer vous livrant à des ébats mollassons dans des draps à fleurs surannés, jaunis par l’urine, un drame charnel qui fustige le bon sens : un rapport sexuel archaïque, entre femmes, digne d’une peinture naïve, cela qui me revient comme un haut le cœur à chaque gorgée de vin, intimes souvenirs des jours dijonnais qui défilent sous la pluie, loin d’une chouette microscopique, éthylique symbole souillé de chyme.

 

Texte brodé le 8 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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janvier 2nd, 2013 at 12:26

Un vœu, mon cher Nicolas: celui de te lire encore longtemps. Bonne année.

janvier 5th, 2013 at 8:41

Que ton voeu soit exaucé : je n’ai pas écrit une ligne depuis de nombreuses semaines ! 🙁 Je t’offre mon voeu pour cette nouvelle année et en profite pour te souhaiter les meilleures choses possibles (ou impossibles, soyons fous) pour 2013.

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