Billet

Le Bal des Cageots

 

 

Voilà que ça roucoule, au bal des cageots, moult coquettes sales et foutriquets entrent dans la danse et s’envoient valser, le temps d’un intermède, ambiance club med, d’une chanson au rythme mollasson. Et pourtant les rascals ont la trique, la sève atavique aux confins des boules, motifs d’une quête.

 

Aux platines, DJ Baladine, un peu badin, de ton, avec ses scuds qui interpellent et son allure de thon, qui ne rassure guère la rétine mais fait des émules parmi les ânesses et les mules.

 

Souvent, les femmes y vont, jeunes et moins jeunes, et même les ratatinées ; il les lutine un tantinet avec des mots gras, et la tendresse exquise d’une main aux miches. Peu importe lesquelles, elles s’en fichent, ces ribaudes qui se pâment, nonobstant les drames, les rumeurs.

 

Tant qu’ils ont de la gouaille, les zhoms, elles se traînent de l’arrière-train, ces entraîneuses, et exhibent leurs chairs nobles ou poisseuses, sous des guêtres invraisemblables pour recevoir l’hostie : un gros kiki ou un petit ouistiti.

 

N’allez pas croire qu’elles agissent en cobaye ! Point du tout ! Kamikaze à se lancer ainsi tel des missiles auprès de ces gros nazes : elles savent ce qu’elles font, mais pensent toujours les ferrer, à grand renfort de victuailles, pour ne pas finir esseulées jusqu’à leurs funérailles, à croupir dans un fauteuil à bascule sans partager la sauce de leur copieux rôti.

 

De loin, je les observe comme on reluque au zoo une parade nuptiale avec des yeux d’enfants : émerveillés, mais pleins de crottes. Aux merveilleuses couleurs de paon que subliment les rayons du soleil se substitue la vision chaotique de femmes pleines de tics qui secouent à n’en plus finir des robes apocalyptiques, aux motifs floraux saisissants, de quoi rendre tout désir impuissant. En somme, la disparition du goût dans les affres du dégoût.

 

Maman m’a traînée là, une fois n’est pas coutume, pour me trouver homme qui m’aille. Mais Maman lui dis-je, moi qui aime les épices et la moutarde, pensez-vous que je trouverai chaussure à mon pied au bal de l’oignon ? Tout ceux qui y dansent, sans offense, ne sont que vils jouisseurs ramollis, des laiderons inassouvis jetés en pâture à des femmes immondes qui n’iraient pas tremper orteil dans notre monde sans y perdre absolument la tête.

 

Ma fille, me répond-elle, votre exigence est telle que vous visez la lune, au fin fond du firmament. Redescendez sur terre, et allez donc gamahucher un peu ! Perdez-donc votre raison de sainte-nitouche dans le foin avec un palefrenier, posez votre bouche délicate sur un membre turgescent, montez, enfin, sur un tracteur avec un jeune agriculteur plein de sève pour vivre cette secousse qui, chaque année, émeut toute la France. Il faut bien s’amuser un peu, avant votre mariage ! Du rêve, que diable, et de l’audace !

 

Piquée au vif par cette décadence abjecte décalottée du sceau du secret, je réplique à ma génitrice que je ne souhaite en aucune façon me marier et moins encore m’enclaver avec une enclume pour le restant de ma vie, pondre quelques chiards qui me suceraient les seins, avant de téter goulument ma fortune !

 

(Mon objection rétive, contre nature, je le crains, fera l’effet d’une bombe de sorte que nous serons regardés de travers par moult porcs de la haute, de ceux qui posent leur groin n’importe où et se roulent dans la fange des autres par amour des truffes, des tartes et des tartuffes.)

 

Mon ange, c’est inéluctable ! répond ma mère. Goeffrey le boiteux se pointera d’ici quelques jours : sa jambe folle fait qu’il est un peu à la bourre mais il ne tardera pas, assurément, les couilles pleines et dodues comme celles d’un rat ! Trouvez-vous donc ici un apôtre pour connaître un peu les douceurs de l’amour ! Votre mari, attendez de le voir, il vous fera fuir un temps, mais je vous garantis que vous prendrez vos quartiers dans sa somptueuse demeure. Et, paraît-il, il est fort bien monté et habile de la chose !

 

Ne saviez-vous pas, chère enfant, que feu votre père m’était prédestiné bien avant nos naissances ? Pleine de bon sens, je n’ai pas attendu de faire sa rencontre pour me déniaiser et vivre un peu la vie qu’il allait m’ôter, en insérant son vit insignifiant dans mon intimité aussi sèche qu’une absence d’éternité. D’abord avec les domest…

 

Mais mère, interrompé-je sans politesse pour ne point goûter l’amertume nostalgique de ses histoires de fesses, n’aimiez-vous pas père un peu pour en avoir fait tant de démonstrations ou n’était-ce qu’une illusion ?

 

Ma garce de mère ne répond point à cette question qui la froisse, tandis qu’une mémère de la paroisse s’incruste dans notre sillage pour nous conter ses histoires d’arthrite, et autres babillages : une énumération de tous les maux de son âge ! Une véritable poisse, un panégyrique pour l’euthanasie, de quoi vous ôter sur l’instant l’envie de vivre.

 

Mon attention hypocrite captivée par ses rengaines, ma génitrice, sublimant sa gaine, en profite pour retrouver DJ Baladine aux confins d’une remise, le temps d’une musette guère amusante. Profitant de cette absence, il m’est possible de fuir cette chasse à l’homme improvisée, de m’extraire enfin du cadre pour ne plus voir ces badauds en quête de chair, ces gueux qui se frottent avec une assurance d’endimanchée, ces mottes présumées dégueu à emmancher, toujours à l’affût d’un chibre dont la caresse, j’imagine, équivaut à s’ennuyer quelque peu ! Plutôt se tartiner du baume du tigre sur les muqueuses que de se soumettre à ses frottements ineptes qui durent à peine le temps d’une chanson !

 

Je m’en vais donc par la nuit, quittant l’antre abject de cette foire aux monstres et rentre me coucher, m’ancrer dans le confort de mon lit, m’émoustiller de ma lie : nul besoin d’un homme décadent pour m’ouvrir à l’amour quand m’attend mon petit chatounet et sa langue rappeuse ! Aucun homme, ni même aucune femme, ne sauraient me satisfaire ainsi !

 

Les organes génitaux des hommes me dégoûtent, l’utilisation de leur langue ne justifie en rien leur présence dans ma couche, et ceux des femmes, plus iodé que floraux, m’horripilent par leur propension délirante à la mouillette ! Leurs langues, bien trop lisses, ne m’émoustillent plus depuis cette rencontre impromptue entre minous.

 

Dommage qu’il faille en passer par là pour avoir un zeste de sexualité, de se réduire à assouvir les besoins de son chat, et de se donner ainsi gourmandises quand le genre humain ne suffit pas.

Mais qui sait, l’espoir fait vivre : peut-être mon futur époux acceptera ma particularité qui ne lui échappera guère, vu les rougeurs gênantes du saccage amoureux qui orne mes dentelles ? Peut-être même ne trouvera-t-il rien à redire à cette petite langue habile qui enchante mes vices, cet amour félin qui va au-delà de l’homme, veule et captif de ses propres désirs, toujours intéressé par la chair qui palpite, le bonheur de sa tige juteuse, et l’argent qui, à défaut de pleuvoir, ne végète jamais ? Rétif à tout le reste, je le crains, tant que cela ne concerne pas la métaphysique des tubes.

 

Peut-être mon promis aura-t-il des pratiques originales, propres à m’émouvoir et sortir du carcan classique de ce sexe répugnant, qui nous pousse à nous avilir pour l’autre, à détruire davantage cette planète en implantant sur sa croûte immonde de nouvelles générations, toujours plus sexuées et désireuses de partager leurs gamètes avides, leurs mictions déroutantes, et leurs maladies pas franchement trépidantes. Rimbaud l’écrivait fort bien entre deux jutes avec son porc : « l’amour est à réinventer. »

 

Ecrit le 26 février pour la semaine 25.

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