Billet

Rat des Villes et Rat des Champs

 

Il allait par la nuit, bravant la pluie battante, son petit cœur en stéréo, nonobstant la météo, rat des champs, pour rejoindre la ville et son adoré, totem mordoré, celui, au fond, qu’il aime depuis trois jours, son mythe urbain : rat des villes.

 

Caïd musculeux, le muridé citadin s’était égaré, impavide, hors les murs gris, pour se dérider dans les landes désertiques de la campagne : un grand bol d’air, une liberté folle.

 

Son corps épais, son franc parler fabuleux et ses génitoires inouïes avaient conquis rat des champs qui, depuis, tout chose, ne désirait qu’une chose : oser, prendre la clé des champs, s’évanouir à jamais pour le rejoindre dans les lumières folles de la cité.

 

Remembrances :

 

Au romantisme cru, quelques paroles suspendues, comme autant d’instants avant mutisme : une caresse sur le flanc, la promesse d’un toujours, des histoires d’une vie qui s’abouche à la vôtre dans un baiser sublime, l’ultime étreinte – l’adieu aux feintes.

Que l’horizon est blême dans ces campagnes sans fin, sous un soleil crème, battu par le froid et la pluie, se plaignait rat des champs, amoureux. Mulots, souris et campagnols ne le ravissaient plus depuis qu’il avait goûté cet extase profonde : une profusion lactée, inondant son sphincter !

 

Une décision ferme, sans appel : adieu fermes, aubes cruelles !

 

Longeant le bitume fumant des autoroutes, grignotant la compotée goudronnée de vers aventureux, rat des champs s’inventait une vie nouvelle, sans amertume, loin des silences boisés et du climat frisquet.

 

Contre la fourrure de son amant majestueux, tout irait pour le mieux !
De nuit, des soleils artificiels les guideraient, à jamais.

 

Tonnerre de voitures jusqu’à l’horizon, épilepsie de phares, supplices sonores, pénible traversée loin des chemins de terre mais rat des champs, de ses pattes grêles, toujours se propulsait vers l’avant, mu par ses désirs immenses, cette conviction dense, à même la chair : l’appel de l’être cher !

 

Point d’autre certitude que celle-ci : rat des villes l’attendait, aux confins d’un rue sanctuaire, parmi les festins exquis des restaurants : canard laqué et saint nectaire, poularde de Bresse et fruits confits, à partager lové sur un coussin de fortune.

 

Toutes ces histoires, toutes ces légendes, elles défilaient en lui comme les voitures sur l’autoroute : plein phare, défiant l’horizon, jusqu’à ce que la métropole dessine enfin ses contours aux milles lueurs : des étoiles bigarrées, des perles d’arc en ciel, constellant l’éther moiré.

 

Arrivé à bon port au quartier de son promis, rat des champs ne reconnut pas rat des villes parmi une légion de clones qui gravitait des rues sombres et puantes aux quais déprimants, s’engouffrant dans les métropolitains puants et autres cours sans miracle. Comment discerner son grand amour parmi tous ces muridés qui, froids comme des murs, d’une gémellité troublante, le snobaient, le toisaient ou dardaient des regards menaçants ?

 

*

 

Quel type de rat êtes-vous ? (Choisissez votre rat, choisissez votre chute, et ne ratissez pas large.)

 

Idéaliste ?
Pessimiste
Pragmatique ?
Réaliste ?
Optimiste ?

 

*

Idéaliste :

 

C’est dans le regard que pétille l’âme, contait maman rat dans le pré : en se rapprochant de ses guerriers nerveux, aux aguets, rat des champs espérait trouver la flamme, ranimer le désir de cet anonyme, caché parmi la multitude. Las, il ne rencontra que dents acérées. C’est le sort réservé à ces freluquets de la campagne dont l’appétit de vie, idéaliste et dissident, n’est qu’hérésie et qui méritent, pour le bien de la tribu, d’être éviscérés.

 

Pessimiste :

 

Des jours et des jours à reluquer chaque rat pour retrouver l’amour perdu, rat des champs perdit patience et sut qu’il ne le retrouverait jamais. Il n’avait plus qu’à tourner les pattes, remonter le temps au lieu de conjuguer sa vie à la mode des « et si », bref, retrouver la campagne ennuyeuse. Hors de question de faire son trou dans une ville où tout lui rappelait l’amour perdu. Hélas, il se perdit en chemin, non loin d’un bar à chat miteux. Miaou ?

 

Pragmatique :

 

Rat des champs comprit face à cette armée qu’il ne retrouverait jamais son rat des villes mais, dans chacun de ses géants, ne trouverait-il pas des parcelles, des échos de son unique amour ? Sans nostalgie, mais pétri d’espoirs doux amers, il s’offrit à la multitude, dans l’attente de jours meilleurs.

 

Réaliste :

 

Dans l’ombre, rat des champs ne cessa d’observer ces rats jusqu’au dégoût, jusqu’à trouver l’étincelle, dans le dire : un déclic, un souvenir. Or, les muridés des villes ne communiquaient guère avec poésie : ils devisaient nourriture et territoire, guerre et denrée. Non sans conviction, le campagnard infiltré évoqua sa province d‘origine, promettant l’abondance, espérant que l’un de ces magnifiques soldats se souvienne de ce merveilleux séjour : en vain ! Comme un malheur n’arrive jamais seul, les rats migrèrent par centaines, envahirent les granges et décimèrent sa famille.

 

Optimiste :

 

Cela prendrait peut-être des semaines, des mois, voire des années, mais rat des champs savait au plus profond de lui qu’il retrouverait cet amour perdu, un jour. Toujours vaillant, fort de cette conviction inénarrable, il n’eut de cesse de le chercher encore et encore, la nuit comme le jour, quadrillant les arrondissements les uns après les autres, bravant les intempéries, les mille et un dangers que l’impitoyable ville jetait sur son passage, tel un dur à cuire… jusqu’à tomber dans les cuisines insidieuses d’un chinois remonté.

 

*

 

« Hey, qu’est-ce donc que ces fins cruelles ? Pourquoi cela ne finirait-il pas bien, pour une fois ? Des ratures, s’il vous plait : de la confiture, plutôt que de la mort au rat ! »

 

Or, le rat viaire, scribe dans les égouts, de répondre, juché sur ses génitoires : toutes les chutes supposent une perte d’équilibre et, possiblement, quelques douleurs. Bref, hors de question que cela se termine bien. Mais, rassurez-vous, les rats sont courts sur pattes, ils ne tombent jamais de haut.

 

 

Semaine 12 du Bradbury Challenge, nouvelle rédigée le 27 novembre 2017.

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calystee
février 5th, 2018 at 6:15

Je choisis sans conteste la chute pessimiste. Je me demande bien pourquoi…

février 8th, 2018 at 10:34

Parce qu’il y avait pas curieux ? Ou alors que tu aimes quand ça finit mal ^^

calystee
février 11th, 2018 at 6:05

Oui, j’aurais aimé « curieux ». Mais j’aime pas quand ça finit, bien ou mal.

février 13th, 2018 at 8:37

C’est l’interêt de tenir un journal, c’est plus illusoire, même les mots restent immortels

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