Billet

Chronique d’un Terrorisme Ordinaire

 

Nous regardons avec un intérêt des plus vifs le grand journal, à la télévision, comme un couple banal, avec du gras au bout des doigts, surpris par un suspens qui dépasse de loin nos habituelles séries pourtant noires. Nous n’osons pas parler car l’heure est grave, la France en émois, une fois n’est pas coutume : un détraqué un peu nerveux détient quelques enfants qu’il ne menace pas d’éradiquer si ses revendications ne sont pas contentées.
 
Rien n’est plus abject qu’un terrorisme gratuit, sans revendication, sermonne un politique véreux qui sue à grosses gouttes, auquel répondent, magnanimes, des cohortes  de jeunes gens un peu critiques, lovés dans des fauteuils suédois, le confort d’un foyer rassurant et des réseaux sociaux qu’ils gangrènent, que le terroriste en question n’a vraisemblablement pas appris à lire et écrire, que c’est pour cela même qu’il a opté pour l’école primaire et le système d’éducation français, un lieu de détention vaguement savant : il faut pour commencer dans la vie apprendre à penser. Tout cela, s’il vous plait, en 140 caractères.
 
La journaliste dépêchée sur place, une idiote adepte de la promotion canapé qui n’avance pas les bons arguments, surenchérit avec un optimisme peu crédible. Elle qui rêvait secrètement d’animer une télé-réalité venimeuse s’ennuie ferme malgré la menace d’une bombe à quelques mètres, une bombe artisanale attachée d’une manière fort triviale à une montagne de bourrelets gélatineux censés amortir le choc en cas d’explosion. Ce terroriste bien trop calme, déplore-t-elle dans son for intérieur, est d’un ennui sidérant ! On est loin des mégères de la télé-réalité ! Pire encore : les heures supplémentaires ne sont pas payées.
 

Contaminée par cette léthargie et l’absence totale d’information, elle nous informe sur un ton atone que les armes et les maladies mentales ne font pas bon ménage quand soudain, boom, on réalise qu’à défaut, et bien, elles font le ménage : le déclic, une explosion. Et bam : en moins de temps qu’il n’en faut, dans un déluge d’effets spéciaux à faire pâlir le dernier film d’action à la mode, il n’y a plus d’école, plus d’enfant, plus de terroriste, plus de journaliste, plus rien, jusque dans notre assiette ! Enfin si, il reste fort peu de choses, de quoi nous laisser sur notre faim : un politicien vaguement outré, dont le taxi est avancé, et des spectateurs qui ont l’insigne privilège de faire zapette pour trouver plus sulfureux.

 
Texte écrit le 10 mai 2012. 
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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juin 13th, 2012 at 2:35

La vie instrumentalisée, la réalité qui rejoint la fiction, et sans le savoir, dans cette confusion des genres, chacun perd un peu plus son âme… J’ajouterai aussi, tout net, si j’avais cette journaliste devant moi, que les armes + les hommes, soit disant sains, ne font pas bon ménage non plus. Sinon, j’adore cette chanson. 😀

juin 13th, 2012 at 3:26

Oui, cela se perd, déjà l’âme du peuple, en tant qu’entité collective, et l’âme individuelle, plus encore : bien au delà même. Je crois qu’on atteint une sorte de symétrie parfaite entre les mondes de la fiction et le monde réel de nos jours, même si le sordide a toujours été de rigueur dans la vie et dans la fiction, celles-ci se rejoignent de plus en plus, jusqu’à se confondre totalement. Deux exemples parlant : part avec le corps retrouvé à Miami dans la bay, dépecé et mis dans un sac poubelle comme le fait Dexter, le plus sympathique des serial killer. C’était il y a quelques mois. Enfin, second exemple, et là, le paroxysme est atteint : le buzz autour de Luka Magnotta, qui s’est servi de nombreuses influences (films, série, musique) pour nourrir une pseudo légende à la petite semaine. D’ailleurs, c’est pas un hasard s’il va faire une petite visite sur blog, d’ici quelques billets.
Tout ça laisse augurer du pire. Et encore, je suis optimiste !

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