Billet

Pim Pam Poum

 

Pim ! Pam ! Poum !

Pim Pam Poum descend les marches des escaliers. Une à une.

Brouhaha. Toujours le matin. À sept heures.

En fin d’après midi, juste avant dix-huit, au plus tard vingt, selon les jours.

Pim !

Pam !

Poum !

De marche en marche.

D’étage en étage.

Pim !

Pam !

Poum !

Et puis c’est le silence.

Pim Pam Poum !

Je l’attends.

Pim ! Pam ! Poum !

Je l’entends.

Et chaque jour ainsi, jusqu’à l’infini, le ricochet de ses pas sur les marches de l’escalier.

Pim ! Pam ! Poum !

Tous les jours, sauf le samedi.

Et le dimanche.

Le dimanche, nul Pim ! Pam ! Poum !

Et puis un jour, un jour pas fait comme un autre : Bam !

Plus de Pim ! De Pam ! De Poum !

Je me dis : tiens, comme c’est curieux ! Pas de Pim Pam Poum – car c’est ainsi que je l’appelais – dans les escaliers.

Devant mon café, mon esprit fomente des hypothèses, dans l’attente de ce rituel, un coup d’envoi dans mon quotidien de chômeur.

Réveil qui n’a pas sonné ? Bim !

Maladie qui arrange ? Bam !

Petite gastro fictive ? Boum !

Faut voir le temps, dehors : ça déferle sec, des hallebardes !

Même Pim Pam Poum a le droit de se reposer quelque fois.

Moi, je ne connais rien du travail de Pim Pam Poum, mais Pim Pam Poum y va d’un pas décidé. C’est tout ce que je sais de Pim Pam Poum.

Le lendemain, même chose : nul Pim ! Nul Pam ! Nul Poum !

Insolite, peut-être ! Mais passons : peut-être que Pim Pam Poum se prélasse en vacances, se vautre dans son canapé, regarde des séries à n’en plus pouvoir, navigue sur internet à la recherche d’une occupation, de l’amour peut-être ?

Dix jours plus tard, toujours pas de Pim Pam Poum. Je m’inquiète de plus en plus.

L’absence de Pim Pam Poum s’insinue en moi, peu à peu. Me tourmente. Je ne pense plus qu’à elle. Une vraie obsession !

Je me demande : combien de frigos américains contient l’appartement de Pim Pam Poum pour que celui-ci, ou celle-ci, reste enfermé(e). Cloitré(e). Séquestré(e) ?

L’absence de « Pim ! Pam ! Poum ! » sent vraiment mauvais.

J’en touche deux mots à Belle Fée Gore, la vieille d’à côté, une momie bien défraîchie qui sort toujours son caniche à quatorze heures au parc à merdes, deux pâtés de maisons plus loin.

Quand elle rentre, je lui parle de Pim Pam Poum en long, en large, en travers.

Elle me regarde de travers.

Elle me répond qu’elle ne sait pas de quoi je parle : elle ne connaît pas cette personne ! N’a jamais entendu ce son ! Même dans les escaliers.

Pas de Pim ! Pam ! Poum !

Sans doute sourde la mamie, ou dans le pâté.

Pas de quoi en faire un fromage !

Dépité, je tapote contre la porte de mon voisin. Je n’apprécie pas vraiment ce gus. Pas malin, le genre décoté à l’argus. Pas souvent là, certes, mais quand il est présent, ce n’est jamais un cadeau : on l’entend… on l’entend vraiment… Et même plutôt deux fois qu’une avec sa musique ringarde !

Je lui parle de Pim Pam Poum ! De sa disparition.

Il ne comprend pas.

Il ne connaît pas de Pim Pam Poum ! Il n’a jamais entendu ce son, le matin à sept heures. Ou le soir, juste avant dix-huit, au plus tard vingt, selon les jours.

Non, il confirme : pas de Pim ! Pam ! Poum !

Je lui demande ses horaires de travail, pour vérifier ; il me claque la porte au nez. Me traite de timbré. Ouille ! J’ai comme l’impression d’être banané.

Or, je ne peux rentrer chez moi ainsi, dans le doute, l’inquiétude, à envisager le pire. À penser à Pim Pam Poum ! Il – ou elle – est peut-être décédé(e). Même obèse, difficile de vivre sur ces réserves, non ?

Il me vient une idée folle : celle de renifler sous toutes les portes, à la recherche d’une effluve nauséabonde. Quelque chose qui sent la mort.

La mort de Pim Pam Poum !

Le scénario, je l’imagine. Il est clair dans ma tête.

Pour un homme : une aliénation devant un jeu vidéo. Dark Souls, peut-être. À force de se faire raboter la cuirasse par des liches, de faire des cauchemars virulents et de ne plus trouver le sommeil, il a forcé la dose sur les somnifères.

Pour une femme : sur un site de rondes en folie, elle s’est dénichée un petit mecton amateur de bourrelets pour lui affoler les miches. Il l’a bien savaté et l’a laissé pour morte, sans même la baiser ! La vidéo de sa mort circule peut-être sur internet à l’heure actuelle.

Je rentre chez moi pour taper Pim Pam Poum sur Google : je ne trouve rien si ce n’est un comic strip plus suranné que mon papier peint. Pas mon trip ! Je me fais la réflexion : Pim Pam Poum ne ferait pas le même bruit que Pim, Pam et Poum dans les escaliers, même vermoulus : inutile de regarder les planches.

Qu’importe !

Pim ! Pam ! Poum ! résonnent en moi à n’en plus finir.

Pim Pam Poum ! Je crève de ton absence !

Pim Pam Poum ! Faut que je sache ce qu’il en est !

Pim Pam Poum ! Je n’en peux plus !

Je vais donc renifler dans les escaliers.

Chaque porte.

Chaque serrure.

Chaque paillasson.

La narine alerte, je me concentre sur les parfums. La somme de toutes les puanteurs. Celles des jours. Celles des semelles, parfois éprises d’un étron canin. Eurk !

L’odeur de la mort, c’est quoi ?

Je me demande.

Pim Pam Poum le sait sans doute.

Quand… surprise ! Ahhhhhhhhhhh !

« Et vous là-bas ? Vous faites quoi sur mon paillasson ? » me demande une belle jeune femme, interloquée de mon impertinence, prête à crier au voleur, au violeur, ou tout ce qui y ressemble de près ou de loin – et à raison.

Car on ne trouve rarement homme à quatre pattes sur son paillasson. Même dans les fantasmes les plus fantasques, il est vrai.

«  Je cherche la personne qui fait Pim ! Pam ! Poum ! dans les escaliers.

– Pim ! Pam ! Poum ! vous dites ? fait-elle en écarquillant ses grands yeux verts. Inquiets les yeux !

– Oui, tous les matins, et tous les soirs, sauf le week-end. Depuis dix jours plus rien. Personne ne sait qui c’est… On devrait mieux connaître nos voisins, vous ne pensez pas ? me hasardé-je.

– Ce que vous dîtes est surprenant Monsieur ! Et vous êtes ?

– David Zarbinovitch !

– David Zarbinovitch ??? C’est vous qui vivez au troisième ? pétille-t-elle d’un coup.

– Lui-même, on se connaît ?

– Non, pas encore ! Mais enchantée. Vraiment ! Moi, c’est Clara. Ça fait des mois que je vous cherche, à croire que vous n’êtes jamais chez vous !

– Vous me cherchez ? Ce serait pas un peu bizarre ?

– Pas plus que Pim Pam Poum !

– Comment ça ?

– Depuis que j’habite ici, tous les matins et les soirs, j’ai frappé à votre porte dans l’espoir que ce soit bien vous ! J’ai tant de questions à vous poser sur votre livre ! Et j’aimerais une dédicace !

– Avec plaisir ! »

Quelle surprise frappante !

Bing !!!!

C’était donc ça le « Pim ! Pam ! Poum » ! ?

Un vulgaire « Toc ! Toc ! Toc ! » ? Le signe que mon imagination fait flop ? Que l’araignée dans le cerveau galope vite ? Qu’elle cavale ? Et la raison avec qui se fait la malle, à force de ne recevoir aucune visite.

« Vous allez en écrire un autre ? »

Aïe !

Je n’y pense jamais, mais j’ai écrit un roman. J’avais. Dans une autre vie. Une dizaine d’années. Autant dire une éternité !

Un roman d’humour, sans humour je crois. Avec un peu d’amour, mais pas assez. Il en fallait plus, mais je n’y connaissais rien. Pas mon truc, j’avais dit. L’amour, c’est pour les autres.

Mon roman ? Il a pas fait Bang ! Il a même fait Plouf ! Mais ça m’a pas empêché de fumer !

J’en avais vendu cent-un exemplaires. Pile poil. Une œuvrette snobée par les critiques, vouée au pilon, au Splash ! dans les toilettes. Et pourtant, ce morceau de moi avait enchanté une âme ! Mieux : une poulette qui vivait juste à côté sans que je n’en susse rien !

Je me dis qu’il y a sûrement un os…

Ou qu’elle cherche un chic type, cette Clara.

Un type comme moi, pour sûr ! Mais là, j’imagine sans doute trop.

Trop vite.

Trop mal.

Trop ?

Je la vois à poil, c’est dire !

« Et pourquoi pas en écrire un autre, oui !»

Avec trois temps de regards, ma réponse, comme une lettre à la poste. Et l’imagination de repartir de plus belle :

Un jour, peut-être, nous ferons ensemble Pim ! Pam ! Poum ! ou bien Crac Boum Hue ! Des Han Han ! Hum Hum ! me conviendraient tout autant. Il ne faut pas être difficile, hein ? Et pourquoi pas d’autres onomatopées, tant qu’on y est ! Soyons fous ! Des bruits ! Du vivant ! Du son ! Pour rythmer notre quotidien briqué comme un sou neuf. Ce serait merveilleux !

Ou pas !

Ouille !

Mais déjà prendre un café, discuter de choses et d’autres. Prendre racine dans le réel.

Elle ; Moi.

Nous ?

Attendre son Toc ! Toc ! Toc ! avec impatience.

Religieusement.

Comme un miracle.

Un messie.

Et l’heure qui tourne en rond.

Tic Tac ! Tic Tac !

Et dans le même temps, écouter ma voix profonde.

Ne plus dériver.

Retrouver mes origines. Ce que j’ai perdu au fil des années. Canaliser cette imagination folle. Transformer Pim ! Pam ! Poum ! en Ho Là Là !

Mieux : renouer avec mon meilleur ami, planqué sous les décombres de ma vie : Tac ! Tac ! Tac !

Tac ! Tac ! Tac ! Je te ressens, comme une seconde peau.

Tu étais toujours là, silencieux.

Et Toc ! Tu me fais de l’œil comme jamais.

Rutilant. Enivrant.

« Tac ! Tac ! Tac ! » ?

Le son de mes doigts fous, dégourdis, plus libres que jamais ! Mes doigts qui courent sur les touches du clavier : un roman, à défaut d’une histoire !

 

 

Le 2 avril pour la semaine 30 du Projet Bradbury.

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