Billet

13:13

 

Café du déjeuner, 13 heures, prendre la pause devant l’abîme
Ne rien faire que penser à la vacuité du monde,
de sa propre existence future
Lambiner / contempler les minets
Qui ourlent l’avenue, passant aux terrasses
Cintrés dans des t-shirts blancs
La viande sous vide qui s’exprime
Privilège de l’été, saison des narcisses
Saison des désirs, du meilleur, du pire
 
Penser à Michael
Son sexe chaud qui sent les croissants
Aux promesses de Gerald, un oncle un peu tante
Il veut faire le tour du monde en montgolfière
Penser à Fiona Apple, ses dépressions jazzy qui renvoient toujours aux vôtres
Son piano froid et lourd qui martèle, qui vous possède
Son cahier d’écolière maudite, hantée
Aux matins qui déchantent
 
Les artistes, au fond, sont des gens comme nous :
A peine sont-ils des gens.
Madonna n’est juchée que sur un trône : celui des toilettes
Sourire, en l’imaginant, pousser fort, grimaçante et obscène, une galette franchement peu savoureuse
Et avec elle, toute la frivolité d’une jeunesse diaprée
Est-elle vraiment artiste ? Au moins monnaye-t-elle le rêve à prix d’or : c’est un art qui veut votre mort.
 
Un fou passe, en liberté, n’est point en cage, il chante, s’égosille
Les ritournelles des fous, des manants, des shmurtz, des muzdus
Des chansons de naguère, des chansons du futur
Rien de très sinistre, des paroles en confiture
Elle s’étale sur la face blême du monde
Des bourgeoises ataviques tartinées de fond de teint protègent avec l’avidité des succubes leurs sacs si précieux, comme les chattes leurs nouveaux nés
Qui sait, s’il venait à sortir de cette torpeur pour les attaquer, les agresser : qui sait, au fond, ce que pensent les fous.
Qui sait s’ils ne sont pas un peu zombies.
 
Dans ce monde, nous sommes tous le prédateur de quelqu’un, le geôlier d’un désir, le bourreau d’un cœur qui ne demande qu’à saigner.
Viandes sous vide.
 
Sons et lumières, en toute discrétion :
SMS, réponse éclair, qui déchire, année-lumière en cellulaire, nano galaxie de lettres qui nous redéfinissent sans cesse :
La synthèse peu flatteuse d’une existence.
« Oui, ça va, fatigué, j’ai besoin de vacances. »
Il est 13:07, Berlin m’appelle à nouveau.
 
Pauvre et sexy, à mon image
Régénérée malgré les outrages
 
Réponse sans plus tarder : Ok.
Vacuité validé à grande échelle : Le saviez-vous : 150 00 personnes reçoivent un Ok à 13:09 ?
 
Une femme qui passe me sourit : elle ne me reconnaît pas. Je ne suis pas de son monde. Sans doute fomente-t-elle le désir sournois de procréer. A trente ans passés, les femmes sont tiraillées par l’ovulation, la fécondation, toutes ces questions qui les taraudent, peuplent leur cerveau, un débat in vitro.
 
A chacun son épée de Damoclès
La mienne est aussi oldschool que le ricqlès
 
J’y pense : hier, j’aurais dû aller à cette soirée, cette soirée laborieuse, entre gens immondes : boire quelques canons, subir quelques boulets, tirer une satisfaction de ce nihilisme ambiant et cosmopolite, sur une boucle électro constipée.
J’aurais probablement dit des choses passionnantes, pour me faire remarquer, comme le font la plupart, sous l’anonymat sexy des réseaux sociaux.
De la provocation de ménagère, par exemple :
La présidence molle qui donne des bisous pour mieux vous enculer
Rien de tel qu’un lubrifiant naturel !
 
L’information, c’est désormais comme un hamburger : ça nous refile sans cesse son herpès, ce  fast food informatif rend malade, file la nausée, sans métaphore filée.
La télévision est un sceau à vomi disco
Contrôle des masses à la ramasse
Internet un asile de fou
Où il est gratifiant d’errer, en toute liberté
Et de sévir, cinglant, en toute intimité.
Ces vies ne sont pas les nôtres.
 
Or :
 
Je vois s’approcher un fantôme du passé, un homme que j’ai aimé avec la tendresse forcené des premières fois. Il est l’heure de tourner le regard, de payer l’addition. L’exact moment où il faut choisir de partir, tout laisser. Laisserais-je mon journal intime en offrande à des yeux globuleux ? Qu’il est difficile de tout quitter.
Il me semble, pendant quelques secondes, que de nouveau,  je pourrais être amoureux.
 
13:13

Une bombe efface tout.

 

Texte écrit le 24 juin 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

Acheter Au Bonheur des Drames

Share Button

Vous aimerez peut-être :

  • Mon Cynocéphale   Je lui avais dit qu’il pouvait faire peur aux gens, avec sa sale gueule de monstre, qu’il pouvait provoquer des crises cardiaques aux passants, rien qu’en apparaissant subitement […]
  • Joker, un Concentré de Bruits ou l’étonnante Métamorphose d’un Humoriste Bénévole     Tu es très coquin, tu es fort charmant, un saltimbanque amoureux à la solde du printemps, un troubadour à son firmament, un farceur, tourbillon de bonne humeur, un clown sans […]
  • Monstres d’Ombre   Longtemps, je me suis couché de bonne heure, par peur du crépuscule, de cette noirceur qui s’invite au ciel, envahit la terre : les murs, la pierre, tout ce que touchent les […]

Laissez un commentaire

theme par teslathemes