Billet

Un Amour de Vierge

 

 

Vertigineuse, la vierge du Mas Rillier, Notre Dame du Sacré-Cœur, s’élève priapique et étend sa morne domination sur le lac de toutes les débauches, où s’ébattent dans l’ombre des coquelicots des insectes lovelaces, tourbillon lacrymal dans la cyprine de la rosée et douceur éminente du crépuscule : une mère prodigieuse sur la lande désolée en part d’ombres.
 
Non loin des plages où s’alanguissent, parmi les galets, de vieux faunes fripés aux verges racornies, l’œil affûté pour la chasse, Manuel tournoie en bombyx effréné dans les bois comme un fantôme à la recherche d’un autre qui le comprenne – et le prenne enfin, son corps contre l’écorce d’un arbre, un sacrifice rituel à la tombée du soir : sentir l’arbre et la chair chaude et épaisse fondre en lui, la nature et sa force, cette sève, qui monte et qui descend, l’inonde en lumière des anges.

Juchée sur sa colline, la vierge à l’enfant, honteuse, ne regarde plus ces ébats que lui cache la dense forêt ; qu’importe ce peuple de fougères orné de mouchoirs blancs, ces râles de jouissances qui s’étouffent dans le feuillage touffu d’une robe sombre dentelant l’horizon, ces pas suspects qui fendent les brindilles suppliciées, jouvencelles calcinées, ces histoires sans paroles qui s’écrivent en matière douce de nuage vaporeux comme si, paisible, la vierge fumait l’ordre du monde dans le ramage des cimes et des oiseaux.
 
Un soir, le dernier, comme un parfum d’adieu, Manuel ressentit cette caresse d’un vent doux, au parfum capiteux de rose, tout contre sa nuque, avant que ne l’embrasse ce garçon basané, musc et cardamome, au chibre déjà dressé, implacable, contre son fondement, pantalon baissé par un vulgaire assaut et, quelques minutes plus tard, le jaillissement féroce de son corps morcelé en perles glutineuses. Et déjà, le règne de l’absence.
 
Sa tête plaquée contre l’écorce, maintenue là par une main franche et cruelle dont la caresse n’était plus amicale, à ne plus pouvoir détacher son corps gracile de celui qui l’avait aimé – ou bien était-ce un autre qui déjà le soumettait encore pour d’étranges intermèdes ? – Manuel fut saisi par de nouvelles apparitions, cachées non loin de là dans le lit sauvage d’un imposant buisson ; des démons adolescents fendus de rictus et d’invectives, qui, s’avançant vers lui en troupeau effarant, semèrent une pluie de comètes sous laquelle il fut enseveli, paralysé par la violence, dans l’inconscience absolue, terrassé par la force brute de cinq colosses.
 
Impassible, la vierge regardait de l’autre côté : ça lui était bien égal, au fond, qu’un jeune homme nu et tuméfié, respirant péniblement, crachant le sang d’une génération crucifiée, fut placé demi-mort dans le coffre d’une voiture pour une destination dont elle ignorait tout, qu’il fut alors, ce garçon-là, à l’aube de sa disparition lente, fatale, cruelle. 

Elle ne reconnaîtra pas son visage, placardée sur l’exquise devanture des boulangeries de Miribel, se multipliant sur les abris bus du département, silencieuse aux messages d’amour répandus par les jours les plus noirs. Elle ne témoignerait pas, jamais, de sa présence dans ses lieux. A peine se souvenait-elle de son visage qui l’avait ému autrefois, à l’église, lors de son baptême, alors qu’il était loin du monde des hommes, de sa cruauté : il fallait bien, lui aussi, qu’on le destine un jour au calvaire. 

 

Photographie : La Vierge du Mas Rillier, octobre 2011
Texte : conception maculée le 24 juillet 2012.
Ce texte fait partie de l’anthologie Au Bonheur des Drames :

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août 19th, 2012 at 12:40

Elle est bien la seule à être vierge dans les environs!

août 19th, 2012 at 12:22

Tu m’étonnes ! Ceci dit, difficile de lui grimper dessus 🙂

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